En Turquie, la formation au service de l’emploi des réfugiés
INTERVIEW Le programme VET4JOB, financé par la facilité de l’UE en faveur des réfugiés en Turquie, favorise l’accès à l’emploi déclaré et à des moyens de subsistance durables pour les Syriens et les Turcs. Il les aide à renforcer leurs compétences par un apprentissage et une formation professionnelle axés sur les besoins du marché du travail.
Avec FATMA ÖZDEMIR ULUÇ,
cheffe d’équipe VET4JOB
Quels sont les enjeux de la formation professionnelle en Turquie, notamment dans le contexte de la crise des réfugiés ?
En février 2023, la Turquie accueillait plus de 3 millions de réfugiés. Parmi eux, 600 000 Syriens âgés de 15 à 24 ans : ils représentent 19 % de l’ensemble des réfugiés syriens. Si notre pays fait beaucoup pour les intégrer, une part importante des réfugiés adultes ne travaille pas. Par ailleurs, un grand nombre de jeunes réfugiés issus de familles à faible revenu sont sortis du système scolaire et travaillent pour aider leur famille. La barrière de la langue pose également un problème. Pour toutes ces raisons, nous avons mis en place le programme VET4JOB.
Comment fonctionne ce programme ?
Nous promouvons un système hautement qualitatif de formation professionnelle et d’apprentissage en lien avec les besoins du marché pour offrir aux communautés d’accueil et aux réfugiés des perspectives d’emploi durable. VET4JOB propose aux jeunes d’acquérir non seulement des compétences professionnelles, mais aussi un comportement favorisant leur employabilité.
En collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale et la Confédération turque des commerçants et artisans, nous intervenons dans 12 provinces avec 36 instituts de formation professionnelle partenaires. Dans le pays et partout ailleurs, la formation par l’apprentissage est reconnue pour sa capacité à préparer les jeunes à l’emploi de la manière la plus rapide et la plus sûre qui soit. Les perspectives d’emploi des apprentis diplômés atteignent 90 %. C’est pourquoi, dans le cadre du programme VET4JOB, nous invitons tous les jeunes de Turquie à apprendre un métier. Pendant quatre ans, ils suivent un enseignement théorique au sein d’un institut de formation professionnelle, à raison d’une fois par semaine, et consacrent le reste de leur temps à la formation pratique sur le lieu de travail, accompagnés de formateurs certifiés. Ils gagnent un salaire qui ne peut être inférieur à 30 % du salaire minimal pendant les trois premières années de leur apprentissage, et à 50 % par la suite. Ils bénéficient du statut d’étudiant, d’une assurance maladie professionnelle, et le salaire suffit dans la plupart des cas à couvrir leurs besoins. Le programme VET4JOB distribue aux étudiants des bons d’alimentation et une aide aux fournitures scolaires, ce qui contribue à augmenter le nombre d’étudiants et favorise l’assiduité.
Si notre objectif est d’encourager les jeunes à emprunter la voie de l’apprentissage, nous essayons également de développer les compétences des adultes, dans leurs familles, pour leur donner de meilleures chances d’accéder au marché du travail. Il s’agit d’améliorer le niveau de vie des familles et ainsi d’augmenter les chances de maintenir les jeunes dans le système scolaire.
En parallèle, VET4JOB met en place des activités communes de socialisation des jeunes et adultes syriens et turcs : excursions, fêtes des récoltes, ateliers d’art, tournois sportifs, auxquels participent réfugiés et locaux pour se retrouver ensemble dans un cadre convivial et tisser des liens. Les activités impliquant des contacts sur une plus longue durée, comme les tournois sportifs, sont les plus efficaces pour renforcer la cohésion sociale.
Nous effectuons des visites dans les foyers, pour présenter les aides à l’apprentissage et encourager chacun à suivre une formation professionnelle.
En complément des parcours de formation professionnelle, VET4JOB propose une aide à l’orientation professionnelle et à l’amélioration de l’employabilité, ainsi qu’un accompagnement à la définition d’un plan de carrière et à la recherche d’emploi.
Comme VET4JOB s’appuie sur une collaboration quadripartite (étudiant-apprenti, établissement scolaire, lieu de travail, famille), nous intégrons entreprises et écoles dans le processus.
Lorsque cela s’avère nécessaire, nous contribuons à améliorer l’environnement de formation sur le lieu de travail pour les apprentis, et nous veillons à ce que les employeurs respectent les droits des jeunes. Les entreprises formant des apprentis doivent faire en sorte que l’environnement de formation pratique soit adapté aux besoins physiques, psychiques, sociaux et pédagogiques des jeunes. De même, nous participons à l’amélioration des conditions au sein des centres de formation professionnelle où les apprentis reçoivent un enseignement théorique et améliorent leur condition physique.
Un autre objectif du programme consiste à aider les réfugiés à mieux s’exprimer en turc, en développant leurs compétences par des mises en situation pratiques, utiles dans la vie quotidienne.
En quoi le programme VET4JOB répond-il aux attentes du ministère turc de l’Éducation nationale ?
Nos priorités font écho aux politiques définies par les pouvoirs publics : la formation professionnelle est une priorité du gouvernement, ce qui a bien sûr contribué au développement de notre activité. Sur le plan législatif, de nombreux ajustements ont été apportés, en particulier pour soutenir les populations syriennes. Par exemple, les diplômés de l’enseignement secondaire qui ne possèdent aucun certificat attestant leur niveau peuvent tout de même s’inscrire au programme d’apprentissage, tout en suivant des cours de turc intensifs. Il faut souligner ici l’importance de l’action de plaidoyer de nos partenaires, comme Expertise France.
La Turquie a récemment été frappée par un terrible séisme. Comment Expertise France et ses partenaires vont-ils réorienter le programme dans ce contexte ?
La situation reste très préoccupante. Pour l’heure, nous essayons d’évaluer l’impact de la catastrophe et d’ajuster nos activités en conséquence. VET4JOB travaillait avec quatre instituts de formation professionnelle dans les provinces de Kahramanmaraş et Hatay, villes les plus durement touchées par le séisme. Les écoles retrouveront rapidement une activité normale, mais l’apprentissage doit reprendre aussi dans les entreprises très impactées : boulangeries, ateliers de réparation, entreprises du bâtiment, etc. Nous ne sommes pas un programme humanitaire, mais nous prévoyons tout de même d’apporter une aide matérielle (petite rénovation, maintenance et réparation) à quelque 200 entreprises. Nous augmenterons le nombre d’étudiants bénéficiaires des bons d’alimentation. Pour finir, le séisme a provoqué d’importants flux migratoires internes, et nous devons nous adapter. À Kahramanmaraş et Hatay, le système éducatif devrait revenir à la normale en septembre.
Propos recueillis en mars 2023
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