Les enjeux des droits des femmes en Amérique latine et dans les Caraïbes

INTERVIEW En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’UE et Expertise France participent à la priorisation des droits des femmes dans l’agenda régional, où l’un des enjeux est l’économie du « care ».


Avec Alejandra Mora Mora,
secrétaire exécutive de la Commission interaméricaine des femmes de l’Organisation des États américains


et Luz Vidal, sous-secrétaire au ministère de la Femme et de l’Égalité des genres du Chili

Pourquoi le « care » est à l’agenda des droits de la femme dans la région ?

A. M. M. Depuis plusieurs années, les femmes nous ont exprimé le besoin de placer leurs droits économiques au centre de nos priorités pour qu’elles puissent obtenir une reconnaissance sociale et économique de la valeur de leur travail. Cela a nécessité un point de départ très important : la reconceptualisation de la notion même de travail pour intégrer que les tâches domestiques sont du travail, non rémunéré, mais du travail tout de même.

Par ailleurs, le « care » est une activité millénaire, assumée par les femmes, qui soutient non seulement les familles, mais aussi l’économie des pays. Il est fondamental d’envisager le « care » dans une optique de transformation profonde de l’organisation de nos sociétés, dans lesquelles nous sommes assignées uniquement à la sphère du privé, pour migrer vers une coresponsabilité. Ces éléments font partie d’un concept plus large qui est également au cœur de notre agenda régional : les droits économiques des femmes. Notre objectif est que les femmes puissent travailler de manière rémunérée et digne, ce qui leur permettra de continuer à progresser dans leur autonomie économique, essentielle pour vivre une vie exempte de violence.

L. V. Au fil du temps, les responsabilités qui, traditionnellement, ont été assignées aux femmes sont devenues un frein à leur épanouissement. En ce sens, le « care » constitue un obstacle à l’insertion professionnelle des femmes, à leur autonomie économique et à vivre une vie sans violence. Cependant, les États ne se soucient pas toujours de cette réalité, c’est pourquoi une partie de notre agenda est dédiée au travail à faire pour relever ces défis. Le « care » et la lutte contre les violences faites aux femmes ne concernent pas exclusivement les femmes, il s’agit d’un enjeu social à part entière, qui touche les États et nécessite une coopération entre nos continents. Je considère qu’il faut aujourd’hui une vision commune sur la manière dont les responsabilités liées au « care » doivent être appréhendées, en impliquant les acteurs au niveau national et international.

Le « care» est une activité millénaire, assumée par les femmes, soutenant les familles et l’économie des pays.

Comment la France et l’UE participent à mettre le droit des femmes à l’agenda régional ?

L. V. Les Objectifs de développement durable, que nous devons atteindre d’ici 2030, nous obligent, en tant qu’États, à travailler en collaboration pour que nous puissions progresser, au niveau mondial, sur ces objectifs. Cela ne peut pas être le fait d’un seul État, nous devons travailler ensemble avec l’Union européenne (UE). Certains programmes sont ainsi fondamentaux, par exemple, EUROsociAL, financé par l’UE et géré par Expertise France. Son but est de participer à la réduction des inégalités femmes-hommes en appuyant la mise en œuvre de politiques d’égalité. Ce type d’initiative nous permet de continuer à avancer, pour que le bien-être soit placé au centre des politiques publiques. Les États ne peuvent pas faire face seuls à cette réalité, nous avons besoin de la coopération latino-américaine, mais aussi de la coopération européenne.

A. M. M. ll est important de mettre l’accent sur l’intersectionnalité dans notre agenda régional. Cela nous permet de comprendre comment les femmes rurales, les femmes autochtones, les femmes afro-descendantes ont un accès différent aux droits économiques. Nous avons aussi mis en avant la question des violences à l’égard des femmes. Mais nous ne pouvons pas relever ces défis de manière isolée. En favorisant les synergies, les alliances et les possibilités de coopération, nous pouvons avancer sur ces aspects. Nous avons aussi besoin d’instruments multilatéraux spécifiques pour nous améliorer. Nous considérons que les changements réels, au niveau national et local, sont induits par les accords internationaux et multilatéraux que nous parvenons à promouvoir.

Propos recueillis en mai 2024.

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