Soutenir la justice ukrainienne face à la guerre

INTERVIEW L’Ukraine a prévu de réformer son système judiciaire dans le cadre de sa demande d’adhésion à l’UE. Destiné initialement à soutenir cette démarche, le projet Pravo-Justice a été réorienté dans le contexte de l’invasion russe.


Avec ANNA ADAMSKA-GALLANT,
experte pour le projet Pravo-Justice

Quand la Russie a envahi l’Ukraine, le projet Pravo-Justice de l’UE a été réorienté pour répondre aux besoins du système judiciaire. Comment préserver l’accès à la justice dans le contexte d’un conflit armé ?

Nous avons tout d’abord réorienté le projet pour apporter une aide humanitaire à nos homologues ukrainiens, notamment en les aidant à rejoindre un endroit sûr. Plusieurs partenaires extérieurs ont salué la compétence de l’organisation Pravo pour coordonner l’appui au système judiciaire ukrainien, ce qui a impliqué en de nombreuses occasions de servir de point de contact afin d’identifier des canaux pour l’aide humanitaire.

Depuis le début du conflit, des crimes de guerre sont perpétrés sur le territoire ukrainien, entraînant un volume considérable d’affaires que le système judiciaire doit traiter. C’est un défi et une charge de travail que Pravo s’efforce d’alléger par différents moyens. Nous proposons ainsi aux juges ukrainiens des formations spécifiques, et nous apportons notre aide à l’organisation Atrocity Crime Advisory Group, un collectif international d’experts des crimes de guerre, qui travaille en lien étroit avec le procureur général.

Enfin, nous œuvrons à l’amélioration du service rendu par les tribunaux. À travers le dispositif Model Court Initiative, nous avons mis en place un réseau de tribunaux sur l’ensemble du territoire ukrainien, qui mettent en œuvre les bonnes pratiques à même de répondre aux besoins de la société.

Dans le contexte de l’invasion russe, le projet Pravo-Justice a été réorienté pour répondre aux besoins urgents des acteurs de la justice et des populations déplacées.

Comment faire pour lutter contre l’impunité, recueillir des éléments de preuve et indemniser les victimes ?

Les autorités ukrainiennes en charge des poursuites et de l’instruction doivent traiter un volume considérable de preuves, non seulement en raison de l’ampleur des atrocités commises, mais également parce que la guerre en Ukraine est particulièrement bien documentée. Notre projet prévoit de former les autorités ukrainiennes à instruire puis statuer sur des affaires de crimes de guerre. Nous contribuons à la mise en place de modes opératoires normalisés et d’algorithmes qui peuvent être utilisés pour recueillir des éléments de preuve.

Par ailleurs, nous aidons nos partenaires ukrainiens à gagner en réactivité face aux besoins des victimes et témoins vulnérables des crimes de guerre. Cet aspect est essentiel, car ces personnes détiennent souvent des informations cruciales pour la poursuite de l’enquête. Prendre en compte leurs besoins permet de s’assurer qu’elles pourront et accepteront de faire une déposition, témoignage que l’on pourra ensuite utiliser comme preuve dans la procédure pénale.

En parallèle, c’est à l’État qu’il revient de veiller à ce que toute personne mise en cause, y compris dans les affaires visant des crimes de guerre, puisse bénéficier d’un procès équitable conduit par des juges, en présence du ministère public et de la défense. Nous aidons les avocats et les juges ukrainiens à renforcer leurs compétences dans ce domaine, notamment en organisant des réunions avec des pairs d’autres juridictions pour un partage d’expérience.

Depuis le début du conflit, des crimes de guerre sont perpétrés sur le territoire ukrainien, entraînant un volume considérable d’affaires que le système judiciaire doit traiter.

Quel est le rôle des ONG aux côtés du pouvoir judiciaire, des autorités en charge de l’instruction et des juges ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec la société civile ukrainienne, très active, avec des ONG comme La Strada, la Ukrainian Bar Association (première organisation représentative des avocats en Ukraine, qui apporte son aide aux catégories vulnérables de la population), la Ukrainian Women Lawyers Association, le Sunflower Project, la Helsinki Foundation. Cette coopération est cruciale, en ce qu’elle permet de constituer un réseau de personnes désireuses d’œuvrer au développement de l’Ukraine et au renforcement de l’État de droit dans le pays.

En juillet dernier, l’Ukraine s’est vu accorder le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. Comment le projet Pravo-Justice peut-il aider l’Ukraine dans cette démarche ?

Au départ, Pravo travaillait sur le rapport joint à la demande d’adhésion à l’UE de l’Ukraine, pour accompagner la réforme de son système judiciaire. Quand le statut de candidat a été octroyé à l’Ukraine, notre travail est devenu encore plus urgent. Nous sommes donc fortement impliqués dans la réforme du système judiciaire, principale condition à laquelle l’Ukraine doit satisfaire pour rejoindre l’UE. Nous avons notamment coordonné les opérations du comité d’éthique réunissant trois juges ukrainiens et trois experts désignés par la communauté internationale. Ce comité a joué un rôle crucial dans la validation des candidatures au Haut Conseil de la justice, qui nomme les juges et gère l’évolution de leur carrière. Le projet Pravo soutient également les activités du comité de sélection, chargé de sélectionner les candidats à la Haute Commission de qualification des juges.

Concrètement, comment le projet aide-t-il le système judiciaire à s’aligner sur l’acquis communautaire ?

Nous avons organisé plusieurs réunions avec des juristes d’autres États membres de l’UE, afin d’aider les autorités ukrainiennes, et plus particulièrement les fonctionnaires de l’administration, à se préparer à mettre en œuvre l’acquis communautaire. En outre, nous travaillons en lien étroit avec l’École nationale de la magistrature du pays, et avons assuré différentes sessions de formation en droit de l’UE. Nous organisons également pour les juges ukrainiens des séminaires sur le sujet, et les aidons à entrer en relation avec les cours suprêmes d’autres États membres de l’UE et avec la Cour de justice de l’UE, pour les amener à mieux comprendre les principes fondamentaux de l’UE. Il s’agit d’un processus à long terme, car les difficultés sont nombreuses.

Propos recueillis en mars 2023

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