Conjuguer environnement et justice sociale dans l’océan Indien

INTERVIEW Dans le sud-ouest de l’océan Indien, le projet Living Forest vise à trouver des modalités de conservation de la biodiversité forestière plus justes pour les populations. Cela implique de les associer dans la recherche de dispositifs innovants.


Avec FRÉDÉRIQUE JANKOWSKI,
socio-anthropologue, cheffe de projet Living Forest (CIRAD)

Le projet Living Forest est coordonné par le Cirad dans le cadre du programme régional Varuna. Pouvez-vous nous expliquer ses enjeux ?

Madagascar et les îles de l’océan Indien forment l’un des plus importants hotspots de la biodiversité dans le monde. Cependant, ces îles sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques et aux pressions liées aux activités humaines. Madagascar a perdu 44 % de ses forêts naturelles depuis les années 1950 et la déforestation s’accélère.

Ces arguments sont mis en avant par des organisations qui défendent une vision très « conservationniste » de la préservation, c’est-à-dire qui vise à protéger les écosystèmes au maximum des activités humaines. Certes, certaines de ces activités ont un impact fort sur la biodiversité : l’exploitation du bois, l’introduction d’espèces envahissantes, la mise en culture des terres… Mais la population malgache devrait doubler d’ici 2050, et elle va avoir besoin de surfaces cultivables pour se nourrir, de bois et de charbon de bois.

On voit que les enjeux sociaux, économiques et environnementaux sont inextricables. Il est crucial d’intégrer la conservation de la biodiversité dans un développement socialement durable. Autrement dit, la gestion de l’environnement doit s’inscrire dans la lutte contre la pauvreté. De plus, les ressources forestières portent des valeurs culturelles et identitaires à ne pas négliger.

Des décennies de politiques de protection environnementale n’ont pas eu les effets escomptés. La crise est bien là, et la population, souvent guidée par l’urgence alimentaire, a un sentiment d’abandon voire d’injustice, qui nourrit sa défiance vis-à-vis de l’action publique et internationale.

Dans le sud-ouest de l’océan Indien, le projet Living Forest offre aux acteurs des territoires un cadre innovant pour gérer les écosystèmes forestiers.

Comment Living Forest entend-il répondre à ces enjeux ?

Nous partons de trois constats. Le premier, c’est que les enjeux de développement, d’agriculture, d’éducation et d’environnement doivent être traités ensemble. Le deuxième est que la conservation de la biodiversité ne peut se faire au détriment des conditions de vie des populations. Le troisième est que la recherche sur ces enjeux doit se renouveler avec des approches transdisciplinaires qui intègrent la diversité des acteurs et des savoirs impliqués dans la gestion de la biodiversité.

Sur cette base, Living Forest met en place un dispositif innovant et inclusif. L’objectif est de définir de nouvelles modalités de conservation et de valorisation de la biodiversité forestière, avec les différents acteurs des territoires, dans un souci de justice sociale et écologique. Ce projet est rendu possible par des partenariats forts, comme le dispositif de recherche et d’enseignement en partenariat « Forêts et Biodiversité », lancé par le Cirad, ou le laboratoire mixte international « Paysages » déployé par l’IRD, qui réunit des partenaires scientifiques de différents instituts de recherche malgaches.

Les enjeux sociaux, économiques et environnementaux sont inextricables. Il est crucial d’intégrer la conservation de la biodiversité dans un développement socialement durable.

Le projet prévoit la mise en place de living labs territoriaux. De quoi s’agit-il ?

Un living lab ou laboratoire vivant permet de rapprocher les différents acteurs qui opèrent sur un territoire et de renforcer leurs capacités. Il offre un cadre d’intermédiation pour mettre en œuvre une dynamique de coopération, de circulation et de mutualisation des connaissances. À travers ces espaces, nous voulons donner la possibilité à chaque acteur de développer ses propres savoirs pour saisir son environnement et contribuer à sa transformation.

Un living lab donne aussi un cadre à l’innovation ouverte, dans une dynamique de « faire commun ». En d’autres termes, les différents acteurs d’un territoire peuvent innover ensemble pour répondre à des enjeux partagés. Le bénéfice est double, car nous considérons que les dynamiques relationnelles ont autant d’importance que l’objet de l’innovation. Tout cela se fait selon des règles de gouvernance qui sont considérées comme justes et légitimes pour les différentes parties prenantes, parce qu’elles tiennent compte de la pluralité des systèmes de valeurs.

Propos recueillis en mars 2023

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