Favoriser l’entrepreneuriat des femmes en RDC

INTERVIEW En République démocratique du Congo, les femmes participent à l’économie de façon informelle. Depuis 2018, l’incubateur Kobo-Hub les aide à entreprendre de façon structurée, pour contribuer à leur émancipation.

Avec SIDONIE LATERE,
directrice et fondatrice de Kobo-Hub

Quels sont les enjeux liés à l’entrepreneuriat des femmes en RDC ?

L’économie en RDC est très majoritairement informelle. Tout l’enjeu est de faire reconnaître légalement l’activité de celles et ceux qui y participent. Les femmes travaillent surtout dans l’agriculture : ce sont elles qui cultivent, récoltent, vont au marché. Ces activités leur rapportent de petits revenus, mais ce ne sont pas des entreprises. Notre rôle est de les faire évoluer dans cette direction.

En tant que directrice d’incubateur, j’ai constaté qu’on obtient des résultats plus rapides quand on accompagne des femmes : dès qu’on répond à leurs besoins et qu’elles voient comment développer leurs revenus, elles sont très assidues.

Pour encourager les femmes à entreprendre, l’incubateur Kobo-Hub met en lumière la réussite de femmes entrepreneures en RDC.

Quels sont les freins à l’entrepreneuriat féminin en RDC ?

Le principal frein est socioculturel. La RDC est un pays-continent, avec près de 100 millions d’habitants et de fortes disparités entre villes et campagnes. À Kinshasa, beaucoup de femmes accèdent désormais aux études et aux carrières professionnelles. Mais ailleurs, les familles continuent de faire faire des études aux garçons et de destiner les filles au mariage. En devenant entrepreneures, elles s’émancipent de ce schéma et contribuent à émanciper leurs propres filles. Une femme éduquée, qui arrive à générer des revenus stables grâce à son entreprise, c’est une femme qui change de rôle dans sa famille et dans la société.

Une femme éduquée, qui arrive à générer des revenus stables grâce à son entreprise, c’est une femme qui change de rôle dans sa famille et dans la société.

Comment l’incubateur Kobo-Hub soutient-il l’entrepreneuriat féminin ?

Kobo-Hub accompagne des projets d’entreprise dans trois secteurs : l’agrobusiness, les industries créatives et culturelles, et les nouvelles technologies. Les porteurs de projet ont entre 18 et 35 ans – nous en avons accompagné trente-quatre en cinq ans, dont douze femmes. Notre ambition à terme est d’atteindre la parité. Les candidatures de femmes sont nombreuses en agrobusiness, mais encore minoritaires sur les deux autres secteurs. Nous voulons qu’elles y prennent toute leur place : c’est pour cette raison que nous organisons des appels à projets dédiés aux femmes uniquement.

Pour inverser la tendance, il est aussi important de mettre en lumière des success stories : des parcours de femmes entrepreneures qui prouvent que la réussite est possible, qu’on soit mariée ou non.

Avez-vous un exemple de cette réussite ?

Kobo-Hub a notamment accompagné une jeune femme qui avait commencé à entreprendre pendant ses études, dans l’agrobusiness. Sa société de transformation du manioc en chikwangue est devenue une référence. À 30 ans, elle vit aujourd’hui de son entreprise et offre un exemple positif aux femmes.

Concrètement, quel accompagnement proposez-vous ?

Il est double. La première difficulté pour un entrepreneur en RDC est d’accéder aux ressources matérielles nécessaires. Étant moi-même entrepreneure, je connaissais ces problèmes – la stabilité du réseau électrique à Kinshasa en est un. Nous avons donc créé un espace de 350 mètres carrés en plein centre-ville, où les entrepreneurs peuvent travailler tous les jours, disposer de l’électricité, d’ordinateurs, d’Internet, de salles de réunion…

Le deuxième volet de notre accompagnement touche à la formation. En RDC, la majorité des entrepreneurs se lancent dans un secteur auquel ils n’ont pas été formés. Ils ont donc besoin qu’on développe leurs compétences, sur des aspects aussi variés que les RH, la gestion légale et financière, le marketing… Kobo-Hub leur fournit un accompagnement d’un an qui couvre tous ces aspects. À la fin, leur entreprise doit pouvoir générer deux fois plus de revenus qu’au début.

Depuis 2022, Expertise France met en œuvre le projet « Pour elles » en RDC sur financement de l’AFD. Qu’attendez-vous de ce projet ?

Ce projet répond bien à la problématique de départ. L’objectif est de proposer des programmes spécifiquement aux femmes et prioritairement en zones rurales, pour leur permettre de passer d’une activité informelle, qui rapporte quelques centaines de dollars par mois, à une entreprise qui en gagne le double ou le triple. « Pour elles » va également permettre aux femmes de se former de façon sereine grâce à un appui financier durant leur cursus. C’est essentiel.

Enfin, les femmes ont besoin d’un accompagnement spécifique, avec une dimension psychologique et du développement personnel. Il faut que les formateurs comprennent la situation des femmes, leur potentiel et leurs limites, les différences socioculturelles entre la ville et les zones rurales… « Pour elles » va former d’autres incubateurs et parties prenantes à l’accompagnement des femmes, pour obtenir de meilleurs résultats.

Propos recueillis en mars 2023

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