Restaurer les écosystèmes marins dans les Caraïbes

 INTERVIEW Expertise France agit avec ses partenaires pour atténuer les effets du changement climatique et protéger la biodiversité. Elle a contribué au programme RESEMBID, cofinancé par l’Union européenne. Le projet Turning the Tide en fait partie. Il vise à restaurer un écosystème marin sain et résilient sur l’île d’Aruba, dans les Caraïbes néerlandaises.


Avec Natasha Silva, responsable de la conservation à la Aruba Conservation Foundation


Avec René Heskens, écologiste au Wageningen Environmental Research (Pays-Bas)

Quelle est la situation environnementale à Aruba, notamment en ce qui concerne les mangroves et les récifs coralliens ?

Natasha Silva : À Aruba, petite île de 180 km² des Caraïbes néerlandaises, nos moyens de subsistance dépendent de la santé de nos écosystèmes côtiers, notamment de nos mangroves et de nos récifs coralliens. Ces écosystèmes soutiennent une biodiversité incroyable. Les mangroves protègent la côte et servent de nurseries pour les oiseaux, les poissons, les insectes, etc. Elles offrent également une protection naturelle contre l’élévation du niveau de la mer. Les récifs coralliens sont également essentiels pour la pêche, car de nombreuses espèces en dépendent, à différents stades de leur cycle de vie.

La forte densité de population de l’île exerce une pression importante sur nos écosystèmes. La pollution locale nuit aux coraux, qui sont aussi endommagés par le changement climatique et les tempêtes de plus en plus intenses. Ils blanchissent et meurent à cause de la maladie corallienne de perte de tissus (SCTLD). Les récifs se dégradent et se transforment en déblais. Les mangroves sont confrontées à des défis comme la sédimentation causée par l’érosion des sols, qui augmentent les niveaux de salinité et les assèchent. Nous les gérons de façon proactive depuis 2020 et suivons leur état de santé depuis.

Quelles actions ont été mises en place dans le cadre du projet Turning the Tide ?

René Henkens : À Aruba, les débris coralliens qui recouvrent les fonds marins ne fournissent pas une base stable pour la régénération des coraux. Pour ce projet pilote, nous avons installé deux types de petites structures de récifs artificiels – de simples blocs de béton et de structures recouvertes de fer en forme d’araignée, appelés les récifs MOSES et MARS. Ces derniers ont été déposés, souvent simplement à la main, sur trois sites le long de la côte sud. Dès leur installation, les poissons ont commencé à les utiliser, ce qui a constitué un signe clair que la nature est prête à se régénérer. Pour le renforcement des capacités locales, nous avons formé les équipes arubaines aux techniques de restauration. Au total, plus de 150 bénévoles ont pris part au projet !

Nous avons également étendu la pépinière de coraux. Les températures de l’eau trop élevées ont retardé la transplantation initiale, mais en février 2024, l’amélioration des conditions nous a permis de collecter des fragments de coraux, de les fixer aux structures artificielles et de commencer à suivre leur croissance.

Pour les mangroves, nous nous sommes concentrés sur l’excavation des sédiments des canaux de mangrove envasés afin de restaurer les flux hydrologiques vers les zones où ils s’étaient stagnés ou asséchés. Un défi intéressant que nous explorons actuellement : que faire des grands volumes de sédiments dragués. Est-il envisageable de les utiliser pour l’agriculture, la construction ou d’autres applications, ou devons-nous nous résoudre à les jeter dans la décharge locale ?

Ce projet montre qu’il est possible de restaurer des écosystèmes gravement dégradés.

Comment garantir la continuité du projet ?

Natasha J. Silva : Ce qui a commencé comme un projet pilote s’est transformé en quelque chose de bien plus grand, grâce à des partenariats solides, avec la Fondation ScubbleBubbles, l’université d’Aruba et l’université de Wageningen. La collaboration avec cette dernière a été précieuse ; ils ont apporté une expertise spécifique, qui n’avait pas encore été développée sur notre île, et ont contribué à renforcer nos capacités locales. Cela n’aurait pas été possible sans eux.

Assurer la durabilité de ce projet passe par l’éducation et l’implication communautaire. Nous avons réalisé le premier documentaire dédié à la nature de l’île et sa restauration écologique, qui raconte ce projet. Ce documentaire a transformé positivement la manière dont les habitants perçoivent leur environnement, et leur a permis de mieux comprendre les complexités liées à la conservation de la nature. Grâce à des conférences, des événements et des projections publiques, nous avons sensibilisé le public, et nous continuons à le faire bien après la fin de ce projet. Au départ, ce qui était une histoire faite de tristesse et de découragement est devenu un symbole d’espoir et de fierté locale.

René Henkens : La puissance émotionnelle du film est essentielle : la science seule ne touche pas toujours les personnes, la beauté de la nature et les dangers qui l’assaillent, si. La collaboration avec l’université d’Aruba nous permet d’impliquer les étudiants formés dans le suivi à long terme : suivi des poissons, de la santé des coraux et de la température de l’eau. C’est un transfert de savoir, mais aussi de responsabilité. Je suis fier de l’énergie collective de tous les bénévoles, étudiants et experts qui ont participé. Nous avons lancé ce projet de façon modeste, mais nous avons accompli beaucoup. Ce projet montre qu’il est possible de restaurer des écosystèmes gravement dégradés. Néanmoins, comme l’avenir est incertain, il est essentiel de continuer à surveiller cet écosystème afin de s’adapter aux défis émergents, et de se concentrer sur la lutte contre les menaces ainsi que les facteurs anthropiques.

 

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